Société
Aurélien Bellanger : on assiste à «la réinvention d'un racisme à gauche»
Les derniers jours du parti socialiste s’ouvre sur les formules d’usage du genre romanesque, permettant au lecteur et à l’auteur d’établir leur pacte fictionnel : “L’ouvrage que vous avez entre les mains relève de l’histoire contrefactuelle. Si le lecteur retrouve ou croit reconnaître, cependant, certaines personnes réelles, il devra se résoudre à les traiter comme les protagonistes d’une histoire parallèle”. Jusqu’ici, rien de révolutionnaire. La satire de personnages réels au travers de la fiction n’a rien d’une originalité. Et pourtant le dernier roman d’Aurélien Bellanger, qui prend pour cible le mouvement du Printemps Républicain et son prétendu rôle dans la montée de l’extrême droite en France, joue à merveille son rôle de livre-polémique de cette rentrée littéraire. Mais alors, qu’est ce qui excite exactement les passions depuis sa sortie, et la tournée médiatique de son auteur qui réussit la prouesse d’être trop à gauche pour France Inter ? Le 26 août dernier, il déclare en
effet au micro d’une Sonia Devillers très offensive : “Il y a eu, autour de la laïcité, une laïcité évidemment dévoyée, la réinvention d'un racisme à gauche, la réinvention d'une idée que la civilisation occidentale était supérieure aux autres”. La séquence fait le tour des réseaux
sociaux, et la radicalité du propos choque même à gauche : la défense de la laïcité après les attentats de 2015 aurait porté un coup de grâce au PS et révélé la vraie nature raciste de certains de ses membres. Toute personnalité de gauche se revendiquant de l’universalisme et de la protection de valeurs qui ont justement fondé cette même gauche seraient des nazillons en puissance. C’est absurde mais il s’agit bien du propos contenu dans les 470 pages du roman.
Aurélien Bellanger était, jusqu’à la nouvelle posture politique radicale dont il se targue, un auteur plutôt prometteur se revendiquant assez pompeusement de Balzac et de Michel Houellebecq, rêvant d’une Comédie Humaine du XXIème siècle et soucieux de passer au scalpel, avec alors un certain talent et un style se voulant le plus encyclopédique possible, quitte à paraître sans âme, les travers de notre société moderne. Après un premier roman, La Théorie de l’information, dédié à l’ascension de Xavier Niel, difficilement classable, entre documentaire, fiction et satire, il obtient en 2014 le Prix Flore pour son roman L’Aménagement du territoire, dont le personnage principal est un double littéraire de Francis Bouygues.
Aurélien Bellanger construit une «Comédie Humaine des temps modernes»
Celui que Jérôme Dupuis accusait dans l’Express, à la sortie de son premier roman d’être “ennuyeux comme un annuaire électronique” se distingue en effet par un style peu littéraire, factuel et informatif, sans fioritures, bien moins charnel et cynique que le Houellebecq dont il
se revendique alors (il écrit en 2010 un premier essai Houellebecq écrivain romantique), et qu’il reniera ensuite (“il est à la droite de Zemmour maintenant” confiera-t-il au journal Marianne en janvier 2023). Il publie ensuite, toujours chez Gallimard, quelques autres
romans moins médiatisés tels que Le Grand Paris (2018), Le Continent de la douceur (2021) ou encore Téléréalité (2022). C’est à peu près ici que nous en étions restés d’Aurélien Bellanger et de sa carrière littéraire avant la parution des Derniers jours du parti socialiste, qu’il souhaite inscrire pleinement dans son but - citons la quatrième de couverture du roman édité chez Seuil - de “construire de livre en livre une Comédie Humaine des temps modernes”.
Revenons au roman qui nous intéresse. Sur près de 500 pages, Aurélien Bellanger évoque l’histoire du “Mouvement du 9 décembre”, double du Printemps Républicain, créé en réaction aux attentats du 7 janvier 2015, et se fait l’enquêteur d’un grand complot ayant amené un groupe de socialistes laïcards à enterrer volontairement le parti socialiste et à rêver d’une politique de restrictions des libertés pour les musulmans, sous le prétexte de la défense de la laïcité et de la République. Les dérives fascisantes du Mouvement du 9 décembre permettent alors, en même temps que l’ascension au pouvoir du Chanoine (Emmanuel Macron), la victoire culturelle de l’extrême droite et l’avènement d’une
République dévoyée dans un racisme d'État.
Dans ce grand récit, Grémond, personnage principal et fossoyeur de la gauche, est le double évident du co-fondateur du mouvement, Laurent Bouvet (moqué très inélégamment jusqu’à sa mort de la maladie de Charcot en 2021), Frayère et Taillevent, “celui des champs et celui des villes”, représentent les philosophes rivaux Michel Onfray et Raphaël Enthoven tandis que Philippe Val s’insère dans le récit sous le nom de Revêche. Le récit est également traversé, sans que le doute soit permis, par des personnages largement inspirés de Caroline Fourest, Gilles Kepel, Jean-Michel Blanquer, Patrick Buisson ou encore Rokhaya Diallo, figure brillante et lumineuse de l’antiracisme dans le roman sous le nom de Lassana Diop. Les créateurs du mouvement, ainsi que les rescapés de Charlie Hebdo, vont ainsi jusqu’à voir dans les attentats de 2015 et 2016 une aubaine pour satisfaire leurs penchants racistes primaires et remettre la laïcité au centre du village. Ainsi, peut-on lire : “La première réaction de Grémond (Laurent Bouvet) à la tuerie de l’école juive de Toulouse fut qu’elle tombait doublement mal. D’abord parce qu’on était à un mois de la présidentielle de 2012, ensuite parce qu’elle s’était produite un lundi, et que c’était le mardi soir qu’il dormait à Toulouse. ça lui faisait perdre son avantage de témoin direct” (p.63), ou encore à propos des attentats de Charlie Hebdo : “Taillevent (Raphaël Enthoven) eut, pour la première fois ce soir-là, l’impression d’être parvenu à l’endroit où il rêvait d’être depuis le début : au centre du monde. Le deuil n’avait pas sa place, en cet instant. Revêche (Philippe Val) voulait agir, seulement agir, et même si la chose ne pouvait pas se dire, il avait accueilli l’attentat comme une opportunité à ne pas laisser passer” (p.216).
Un roman à la frontière du complotisme
S’il n’est pas criminel, tant que l’on trouve un éditeur pour l’accepter, de commettre à l’envi une farce littéraire délirante, une “histoire parallèle” où les seuls responsables du retour du fascisme en France sont un groupe de penseurs de gauche profondément islamophobes, il est en revanche plus fâcheux lorsque l’on écrit un roman de rompre le pacte littéraire entre auteur et lecteur. Car on peine à vrai dire à comprendre où est le roman dans cette chronique historique au déroulé précisément semblable à la réalité de ces années post-attentats, si ce n’est dans l’invention complète des pensées et intentions forcément malveillantes pour ne pas dire franchement rances de personnages réels rhabillés pour l’hiver sans droit de réponse possible, surtout quand ils sont morts. Le roman, de la première à la dernière page relève d’un délire que l’on pourrait qualifier de complotiste (mais cela est réservé à la droite paraît-il) et dépassant de très loin la licence romanesque propre à la fiction derrière laquelle se réfugie malhonnêtement Bellanger. Car si la fiction est en effet son refuge, celui-ci ne se prive pas d’exprimer “hors champs” ses intentions réelles, et ceci est certainement bien plus intéressant que le roman en lui-même. Tant mieux pour le
buzz mais tant pis pour la littérature !
Dans son interview à France Inter, Bellanger explique en effet avoir cherché à comprendre comment le parti socialiste de son enfance avait pu s'effondrer et comment “l'extrême droite” avait pu gagner la bataille de l’hégémonie culturelle telle que définie par Gramsci et abondamment citée dans le roman. Et en cherchant la réponse à sa question, se croyant éclairé à la lampe frontale lumineuse de la “vraie gauche” - celle de Mélenchon désormais - Bellanger croit avoir trouvé le coupable à tous ses maux. Le 29 juin dernier, en pleine effervescence des législatives, il écrit sur Twitter “Il va sortir trop tard hélas mais j’ai écrit un livre qui raconte comment une hérésie du Parti socialiste, le Printemps républicain, entouré d’un groupuscule d’intellectuels médiocres, aura rendu possible la victoire de l’extrême-droite en France”.
L’auteur qui s’affiche désormais dans la presse, barbu et les yeux bleus inlassablement écarquillés sous les faux-airs d’un Raspoutine fou et extra-lucide, assume finalement complètement l’abandon des prétentions balzaciennes d’autrefois, et ira jusqu’à affirmer dans son interview aux Inrocks avoir imaginé son roman comme “un gros tweet de réponse” à ceux qu’il identifie comme ses ennemis intimes : “C’est la première fois que j’’ai eu envie d’écrire pour faire du mal à des gens. [...] j’ai des ennemis, ce qui est relativement nouveau pour moi, et je veux leur infliger le plus de dommages possibles. Cela a été mon moteur. [...] Je veux “canceller” ces gens qui sont nuisibles au débat politique. Qu’ils se taisent à jamais, qu’ils retournent dans leur ridicule” annonce-t-il dans la même interview. Être un bon écrivain ne suffit visiblement plus, il faut être militant, nous explique l’auteur tout en avouant sa récente admiration pour Assa Traoré et le Comité Justice pour Adama, sa découverte, comme un adolescent de 44 ans, des manifs, des sphères militantes de gauche, anti-racistes et féministes, et admettant même “avoir été ému aux larmes” en assistant à une projection du film Barbie… “J’ai été ébranlé en profondeur. On se disait, on a
des problèmes, mais en tant que civilisation, on est meilleurs que les autres parce qu’on respecte mieux les femmes ; j’ai compris que c’était faux ! Je ne m’en suis jamais relevé. J’ai arrêté de croire qu’on était une civilisation supérieure aux autres. Pareil pour la question raciale”. Ce qui nous ébranle en profondeur de notre côté, c’est plutôt le constat des ravages de l'extrémisme politique et quasi-religieux sur la littérature. Finalement, c’était peut être cela le seul moyen pour Bellanger d’accéder au titre de phénomène littéraire : la provocation et l'extrémisme. Avec Edouard Louis, nous voici donc avec un deuxième auteur officiel de l’islamogauchisme !
Le spéctacle d'une gauche divisée
Que faut-il donc tirer de ce roman que l’auteur lui-même admet, en hommage à son admiration d’autrefois pour Houellebecq, être un “anti-Soumission” ? Certainement que contrairement au roman de ce dernier, douloureusement clairvoyant, on a encore ce privilège à gauche, tant que l’on n’attaque pas les minorités de notre belle République, d’écrire une dystopie politique fondée sur les délires personnels de son auteur sans être taxé de complotisme rance et accusé de rappeler les pires heures de notre histoire. Le lecteur du camp conservateur trouvera dans ce roman, dont visiblement Gallimard n’a pas voulu puisqu’il a fallu changer d’éditeur, un spectacle consternant mais aussi assez jouissif : celui d’une gauche dont les querelles religieuses et inquisitoriales ont encore de beaux jours devant elles et dont les acteurs ne trouvent décidément pas de fin à leur course à la pureté idéologique, au détriment du réel et du bon sens le plus élémentaire. Toulouse, Charlie Hebdo, le Bataclan, Nice, les centaines de morts liés aux attentats sur notre territoire, Samuel Paty, Dominique Bernard, la montée de l’entrisme islamique à l’école et d’un antisémitisme assumé… Tout cela ne contribue pas de lui-même à la droitisation des esprits en France ! Il s’agit seulement là des conséquences d’une islamophobie d’Etat structurelle ! On est bien étonnés alors de découvrir, comme un rayon de lumière jaillissant des élucubrations de Bellanger, cette si juste phrase de Charles Peguy citée cyniquement dans la bouche de Grémond/Laurent Bouvet page 252 : «Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit».
Seuil
Parution : 19-08-2024
470 pages

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